Ecrire

Ce n’était que tard dans la nuit que je me réfugiais au grenier, dans mon minuscule bureau. Je m’asseyais à ma table et aiguisais soigneusement une bonne dizaine de crayons de bois.
Le désir d’écrire s’approchait de moi, impérieux, incontournable et tout était prétexte à le fuir. C’était une facture à vérifier, des papiers à classer, un article à lire …et le temps passait.
Face à moi la pendulette que Leslie m’avait offerte déroulait les heures de la nuit, je restais de longs moments les yeux rivés aux chiffres électroniques.
J’écrivais quelques mots, rayés aussitôt, me levais, essayais de former une image dans mon esprit, me rasseyais, dessinais sur ma feuille des arabesques entremêlées, des rosaces, des volutes infinies où se perdait le fil de mes pensées.
Une nuit, je cherchais les mots pour décrire un geste de Leslie. Je rassemblais des souvenirs, des émotions, des impressions fugitives et lorsque enfin la phrase se formait, les mots réduisaient et trahissaient ce geste si parfait.
Pourtant l’histoire était simple : Nous roulions sur l’autoroute. Leslie conduisait , il faisait nuit noire, il pleuvait, la route était glissante. Nous ne parlions pas. A un moment, Leslie posa sa main sur la mienne et la caressa doucement. Au fil des kilomètres, elle m’effleurait la main puis les doigts de plus en plus légèrement. Attentive à la conduite, elle était enfermée dans son silence, seul ce mouvement presque imperceptible de ses doigts sur ma main nous unissait l’un à l’autre et me donnait un plaisir intense.
Leslie était ainsi, lointaine et secrète. Elle savait la distance qui s’installait entre nous lorsque nous ne communiquions que par les mots. Nous ne pensions pas dans la même langue et je n’étais pas conscient de ses efforts pour me parler en français. Alors, elle inventait des jeux aux variantes infinies et le lien entre nous ne se rompait jamais.
C’était tout cela que je tenais à graver pour l’éternité. Je cherchais les mots pour décrire cette nuit là, la route, la pluie, le silence de Leslie, l’immobilité de son visage, la douceur de ses doigts...
Je voulais un style descriptif mais poétique à la fois. Je me répétais ces mots qui devenaient obsédants : poétique, descriptif, poésie des gestes, description des sentiments… ou plutôt l’inverse, je n’étais plus sûr de rien…
Je ratissais les synonymes au fond des dictionnaires. Avec obstination, je reprenais encore et toujours la première phrase de mon récit…
Vers quatre heures du matin, ma page, ma pauvre page n’était que ratures. Je n’arrivais même plus à me relire !
Dix fois, cent fois, j’avais taillé mes crayons, édifiant avec application un petit tas de serpentins de bois. J’avais feuilleté mes dictionnaires en tous sens et les avais jetés sur le plancher.
Je marchais quelques pas et par la fenêtre, regardais l’aube se lever.
J’avais froid. Toute la nuit je m’étais accroché à des émotions si fortes qu’elles m’avaient transpercé.
J’avais remonté le temps. J’avais vibré au son d’instants magnifiques et éphémères, mais les mots n’étaient pas venus au rendez-vous. A trop vouloir les saisir, je m’étais épuisé dans un combat contre moi-même…et ma tête était vide, mes épaules fatiguées.
Je m’allongeais sur un vieux divan.
J’étais dans la voiture auprès de Leslie. Je respirais son parfum, je goûtais la douceur de sa peau, j’écoutais le va-et-vient des essuie-glace et le bruit feutré du moteur. J’étais bien.
Je m’endormis en me jurant de commencer dès le lendemain, la rédaction d’un roman de science-fiction.
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